Incertaines poésies


Le vent de ton émoi

On ne sait ni pourquoi, ni comment, un matin sur une plage abandonnée, on se retrouve là, échoué. Fatigué des vagues. Las. Personne alentour. Rien[…] Du moins, presque rien. Un juste rien ressenti face à quelques milliers de capsules flottantes dans un océan d'espérance. Chacune prête à enfanter l'agonie. Des centaines de milliers de lettres prisonnières du dessein tragique des errements. À peine perceptible, des surfaces vitrées dans lesquelles on pourrait y rejoindre un reflet. Tant de mots. Tant d'airs asphyxiés. Des orphelines lettrées. Tant et tant. Messages destinés ? Syndromes du « I would prefer not to », Bobineries… Il en manquait une pour parfaire cette captivante toile ondoyante. Une seule. Vidée de toute substance.

Ô Océan pourquoi te décharnes-tu ? Pourquoi gronder l'onde des rouleaux ? Ces minuscules bouteilles s'entrechoquent, se brisent sous le vent de ton émoi. L'encre de ces mouchoirs, délavée de blanc ne trouvera aucune attache. Diluée. Mouvement pointilliste vacillant dans la nuit. Comme des nuages à la surface, sanglotants des cris de glace[…] L'abîme accueillera les enveloppes tranchantes.

Des sommes considérables d'études contenues…

Le Festival de Salzburg est l'un des plus célèbres au monde. Il attire à lui chaque année près de 240 000 visiteurs amateurs d'opéras et de musiques classiques. Valery GERGIEV dirige en deux mille cinq l'orchestre philharmonique de Vienne pour une interprétation de Shéhérazade, œuvre du compositeur Nikolaï RIMSKI-KORSAKOV. Il orchestre. Il s'agite. Il gesticule. Il transpire. Il expire. Devant lui, le demi-cercle du petit groupe de musiciens dont il inscrit le centre du seul rayon de ses actions. Derrière lui, un large cercle de « personne() ». D'un coté, l'assemblée passive est soulevée par les flots des notes percutantes, denses et dynamiques. Un profond tissu de matière emporte. De hautes vagues extirpent l'unité des émotions. Les envolées saisissent. Cependant, impassible, d'aucun reste ancré dans une immobilité de corps. D'un autre côté, des musiciens… un musicien affairé à une précision articulée du geste. Un musicien qui sa vie durant, a répété une attitude, jours après jours, heure après heure, minute après minute, inlassablement sans faillir une seconde, s'agrippe au difficile choix de son instrument à servir son émoi. Chaque musicien exalte l'instant. Chacun, dans la contenance et la consistance, affecte comme aucun autre l'acte de l'immensité de son geste accompli. GIERGEV savoure. Il orchestre. Non. Il reçoit. La place qu'il occupe s'efface au regard des corps statufiés. N'offrant son visage qu'aux seuls accords des promesses libérées. Des sommes considérables d'études contenues, suspendues jusqu'à l'espérance d'une délivrance. Une note enfin exprimée. Des notes. Encore et encore. Il reçoit. Il reçoit ce qu'aucun autre à sa place ne pourra jamais recevoir. Il expire. Mil huit cent quatre-vingt-huit. Quarante-cinq minutes.  [1]

Villa des quatre frères et des cinq sœurs

Les pavés méticuleusement agencés dessinaient une rue calme lorsqu'aucun véhicule ne s'appliquait à suivre son tracé. Située dans les quartiers nord de Bordeaux, proche de la place Ravezies, elle ne desservait aucune destination, si ce n'était une caserne militaire à l'une de ses extrémités. Une petite chapelle à quelques pas de là appuyait le caractère sacré du lieu. Le nombre des étroites maisons n'était pas proportionnellement réparti de chaque côté de la chaussée. Ce déséquilibre était dû à un haut et long mur de briques rouges, de plusieurs dizaines de mètres qui signalait par sa présence l'enceinte d'une entreprise de transport. L'immense portail en tôles pleines, rouillées sous l'action persistante du temps, ouvert par moments, laissait entrevoir d'imposants camions bennes de la marque UNIC. Et puis, presque timidement face à cette colossale bâtisse s'illuminait une minuscule demeure au onze de la rue du Chanoine Vidal. Le commun trellis grillagé qui ne protégeait qu"une limite affective, bordait la fragile maisonnette implantée tout en longueur et dont la face la plus réduite s'offrait au regard. Le petit carré d'espace non clos accueillait un miniscule bassin en ciment où le linge était lavé à l'eau froide. Une menue table ronde blanche en fer, ornée de mille trous et ses quatre chaises de pareille confection se posait là devant les pots de géraniums situés sous la fenêtre de la chambre parentale. Au dessus de cette ouverture, aux volets repliés en été, fixée au fronton de la mignonnette habitation et visible à tout passant s'attardant dans son élan, une plaque taillée dans un marbre rosé constellé de lettres dorées recevait un message destiné Villa des quatre frères et des cinq sœurs.

De rose, tu étais dans la clarté des jours glanés, des heures clamées. Proclamées. Attachée à l'aune des gris ternis d'aujourd'hui, à l'ombre des chiffres en décompte de suie. D'êtres. Une simple plaque (r)osée de nervures gravées, dorées dans les sillons que comptent l'oubli d'une famille. Où est-elle la pierre de marbre éclairée ? De mots isolés. Mausolée érigé au culte de fraternité. Que deviendront les lettres ornées aux cènes troublées, dans le silence des lieux partagés ? Une stèle célébrée dans le miracle des alliances sacrées. Unions de gaieté.

Un jour de pluie

À toute séparation de corps, dans la naissance, dans l'existence comme dans la mort, les eaux se perdent, les eaux se donnent…

Promenons nos souvenirs, au long du rivage des eaux de nos mères perdues, libérées des cris arrachés pour la vie. Mimétique miroir de douleur dissociée. Aux premières larmes, les dernières déferlant le lit des torrents asséchés aux tracés enlacés de « marées » salants nos visages fermés.

Corps statufiés de vie aux membres gravés dans l'immobilité d'un drapé blanc soigneusement replié, les sens clos à jamais et, par les lacs recueillis, portés haut en agonie de peine. L'écume du déchirement des vagues de pleurs extirpées aux racines de l'Être. Comment ensevelir l'écueil de la plus belle mémoire nouée en acte d'existence — une ultime cicatrice. Et en nos lèvres glacées du silence des maux, adresser un sublime baiser. Le dernier appel.

Aujourd'hui, enfin il pleut.

Une chaise en son jardin

Explique moi l'Éternité, celle d'avant, celle d'après. Je n'y vois plus rien aujourd'hui. À l'aube noire des parfums figés. Au silence d'une porte à jamais fermée, dans le froid nu d'un petit matin. Je n'y comprends rien.

Juin, c'était encore le printemps. Les jours avaient du temps devant eux. À prendre. À perdre. Dans l'insouciance de l'existence. Au bleu azur de l'espérance.

Deux mois de préparation. Deux moi|s de séparation. Au surgissement sourd d'une conscience agrippée fermement à une once de temps mêlée. À ce qui reste de Merveilleux. Éloge funeste de l'étale miroitant pour une dure réalité. Séparée de ton chant. Au silence d'une extrême onction. Dérobée du rouge de ton sang le temps d'un été, jusqu'à l'incertain à la limite de ta vie, jusqu'aux initiales de ton nom. Absorbée de lumière, cherchant au delà de l'ancre de tes attaches, jusqu'aux nuances de tes qualités. Comme une chaise en son jardin honore toujours de sa présence. Retirée au sombre creux dans la tanière d'un immuable présent (printemps).

Toute ta vie perdue. Toute ta vie perdu|r|e.

Un mercredi de septembre. Jour de pluie comme il y en a tant depuis. Trempé des cieux déversés.

À l'éclat terni de nos yeux. Un seul bouquet rouge de Roses sur un parterre de blanches. Témoignage saisissant […]

Dans le glacé des jours sans toi —



Écriture sans lendemain

Chaque aiguille de pins retient à sa façon une goutte d'eau après la pluie. Comme si elle goûtait la goutte perdue à son extrémité. À l'endroit même où la feuille rectiligne s'épuise à tenir sa ligne effilée — un mince trait chlorophyllé. Miroir étincelant de gouttes piquées au vif de leur existence. Une myriade de reflets scintillants ponctue la peau ciliée, perlée d'argent. Alignés d'espérance, ces géants élancés aux branches luminescentes, dans l'écrin ouateux d'un ciel chargé d'automne.

—  qu'une brise caresse alors de son passage […] et c'est une pluie qui recommence.

Une branche de pin dans la lande

Alors que le soleil fond son âme sur les paysages encore sommeillants d'une lande oubliée, les brumes s'effacent lentement au regard, laissant apparaître les troncs impuissants à retenir, les frêles fumées de rosée non encore consumées. Plus haut, les feuillages éclaircissent la couleur des cimes. L'automne est bien là, au frais du petit matin. Tout semble à sa place dans l'immensurable. Soudain, un oiseau pose la branche d'un pin, pareil aux pignes inversement érigées. On ne peut distinguer à cet instant, une infime différence entre les deux silhouettes légèrement inclinées dans l'éclat des apparences. Une myriade de limailles luminescentes tracent les aiguilles du temps dans le feuillage étoilé. Des milliards de lueurs soutiennent l'oiseau poussant son chant vacillant, à l'abîme du jour naissant. Comme c'est étonnant que cette branche dans la même nuit, parée de sa pleine ombre sans teint, accueillit un semblable nocturne au chant ruisselant. Le spectacle vierge d'obscurité au travers des ramures émaillées, par les lointaines lueurs d'une sphère céleste parsemée, retrouvait les desseins d'un petit matin observé. De jour, comme de nuit, accompagnées de notes comblées, les ramilles scintillent sous la caresse du vent. Quel bel arbre. La nuit, son harmonieuse ombre frissonne de clarté. Le jour, ses communes couleurs frétillent en dentelles de lueurs.




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