
Un A comme Abeille
Je me souviens encore aujourd'hui d'un livre que m'avait offert mon père lorsque je n'étais qu'un enfant et plus particulièrement d'une page où le dessin d'une abeille illustrait un « A comme Abeille ». Cette première page du livre, ma première page de lecture fut certainement tant elle m'a marqué, à l'origine de mon intérêt pour les abeilles. Cependant, ce n'est qu'en 1994 que je découvris réellement l'apiculture, en aidant un voisin en Touraine, retraité du monde agricole. Ce dernier possédait, outre un jardin et quelques fruitiers, un petit rucher d'une dizaine de ruches dont il s'occupait avec une vive passion. À chaque fois qu'il allait au rucher, il m'emmenait avec lui. Ce fut une année particulièrement riche en sensations, en émotions. Je ne sais pas si vraiment on peut parler de vocation, pourtant il me sembla voir en cette voie, la route qu'il me fallait devoir suivre. Je pris alors la décision d'acquérir une première ruche peuplée de ses abeilles ; trois ans plus tard, mon cheptel atteignait 75 colonies. Après avoir lu bon nombre d'ouvrages, une formation sembla nécessaire. Aussi, je partis à Vesoul préparer en deux ans un BPREA (brevet professionnel de responsable d'exploitation apicole) que j'obtins en 1999 afin de m'installer professionnel en apiculture ; ce que je fis au solstice de cette même année avec deux cents ruches. L'approche initiale bio-dynamique s'est vite dotée d'une expérience personnelle propre et m'orienta vers une apiculture plus respectueuse de l'abeille.
Au début des années deux mille, suite à l'accentuation des problématiques environnementales, la décision était inéluctable, il fallait déplacer les colonies dans un milieu proche d'une condition sauvage, loin de toute culture — c'est par ailleurs à cette période que le mouvement d'apiculture urbaine prit de l'essor. Le transfert de ma petite entreprise fut nécessaire de la Touraine à ma région natale, à mi-chemin entre Bordeaux et l'Océan, en pleine nature dans les bois, à Saint Aubin de Médoc. Les abeilles semblaient y évoluer plus naturellement. C'était sans compter le dérèglement climatique qui provoqua en 2003 une canicule restée gravée dans les mémoires. Plusieurs milliers de morts en France. Beaucoup de secteurs d'activités furent perturbés. Les agriculteurs — toutes productions confondues — touchés également par des pertes importantes de plantes et d'animaux eurent à reconsidérer l'unité de travail. Ce triste été 2003, la presque totalité des colonies périrent engluées par le miel qu'elles avaient amassé suite à la fonte des cires contenant la substance sucrée. Quatre-vingt dix pour cent des colonies ne purent lutter contre ce cataclysme écologique. Certains apiculteurs, pourtant avisés par plusieurs générations de pratiques apicoles, perdirent la totalité de leurs animaux. Vingt-huit ruches seulement sur l'ensemble de mes ruchers restèrent peuplées d'une vie précaire secouée par l'incendie caniculaire. Certaines expirèrent l'année suivante. C'est peut-être à cet instant précis, dans un paysage de lande brulée que l'on goûte aux larmes des résignés. Pourtant, lorsque le feu s'éteint, une minuscule braise incandescente s'agrippe immanquablement à sa dernière instance, à l'irrésistible lueur d'une utopique espérance. Et on poursuit sa route. Et on compose avec ceux qui restent. [En cours d'écriture…]